![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Les recherches conduites depuis une trentaine d'années sur les grands édifices mégalithiques du Néolithique moyen dans l'Ouest de la France se sont attachées à en dégager les particularités architecturales tout en essayant d'établir une chronologie basée tant sur l'étude précise du matériel archéologique que sur la contribution du radiocarbone. Ainsi il semble maintenant bien acquis que les premiers grands monuments furent édifiés vers la fin du 5e millénaire (1). Ces plus anciennes tombes à couloir possèdent toujours une chambre simple dont le plan de base, quand il n'est pas circulaire, s'inspire de l'ovale ou du polygone. L'utilisation de la pierre sèche pour l'édification de ces ouvrages atteint une remarquable fréquence, mais il faut bien admettre qu'en l'état actuel des données, à travers quelques cas de contemporanéité bien attestés, notamment à Barnenez (Giot, 1970), il n'est pas possible de savoir laquelle des techniques, mégalithique ou en pierre sèche, est apparue la première.
En revanche il n'est plus douteux que les chambres quadrangulaires aient été conçues dans une seconde phase du mégalithisme atlantique, probablement de très peu postérieure à la première; leur relation avec les grandes influences culturelles du Chasséen, bien caractérisées par la diffusion des coupes à socle décorées et de divers autres types de récipients, peut être considérée, à défaut de datations plus précises (2), comme un précieux repère chronologique.
Ces transformations architecturales voient aussi l'abandon presque total de la pierre sèche pour la construction des tombes internes dont certaines seront cependant encore couvertes par encorbellement; elles s'accompagnent d'une indéniable différenciation régionale. C'est ainsi qu'à l'extrémité occidentale du littoral sud-armoricain les remarquables tombes à chambre compartimentée telles que celles de Kerleven à la Forêt-Fouesnant (Le Roux et L'Helgouach, 1967) ou du Souc'h à Plouhinec, Finistère, représentent une très précoce contribution à cette nécessité de création d'architectures locales; la persistance de structures en pierre sèche et surtout de grandes couvertures en encorbellement dénote un archaïsme que ne dément pas le matériel céramique. Ce style sud-finistérien trouve en pays de Carnac une adaptation mégalithique avec les tombes de Mane-Groh et Mane-Bras à Erdeven. Dans ce secteur très riche du Morbihan littoral, aux chambres quadrangulaires des tombes à couloir classiques sont parfois accolées des chambres latérales, ce qui est le cas à Kermarquer à la Trinité-sur-Mer, à Locqueltas à Locoal-Mendon ou encore à Rondossec à Plouharnel.
On rattache au même mouvement de différenciation régionale les tombes à couloir angoumoisines où s'exprime une remarquable maîtrise de la taille et de l'ajustement des piliers des parois (Burnez, 1976).
En Loire-Atlantique, mis à part le cas de quelques édifices de plans imprécis situés au nord de l'estuaire et qui pourraient être apparentés au style de Colpo-Larcuste II, ce sont les monuments du type de Pornic, nommés aussi monuments transeptés (3), qui retiennent l'attention. C'est dès 1869 que W. Lukis, l'un des plus compétents parmi nos prédécesseurs, pouvait écrire : «quelques uns de ces types sont locaux... ; on rencontre assez fréquemment le No 14 (type Joselière) dans la Loire-Inférieure». Ces monuments peuvent être définis comme des tombes à couloir à chambre terminale quadrangulaire et chambres latérales ouvertes sur le couloir. Des préhistoriens de grand renom ont traité des sépultures transeptées. Il suffira de rappeler l'article que leur a consacré G.E. Daniel (1939), sans épiloguer outre mesure sur la domination de gallery graves (équivalent d'allées couvertes) qu'il leur affecta. En 1962, englobant tous les monuments à cellules latérales du Sud de l'Armorique désignés par G. Daniel et ceux de la région Cotswold-Severn (Grande-Bretagne), S. Piggott suggère une appellation commune «type Pornic-Notgrove» qui n'a que le désavantage de regrouper, du côté breton au moins, des styles par trop dissemblables, mais l'auteur reconnaît bien explicitement l'importance numérique et qualitative des tombes transeptées du Pays de Retz.
En 1965 nous avions consacré à cette architecture un chapitre regroupant les styles de Keriaval et de Pornic (L'Helgouach, 1965). A cette époque nous ne pouvions travailler, comme nos prédécesseurs, que sur des données anciennes, imprécises, basées sur de rares fouilles, au demeurant incomplètes. Pourtant nous prônions déjà, pour tous ces monuments à chambres latérales une relation avec le développement de la culture chasséenne occidentale.
Or depuis cette époque trois fouilles ont amené une information substantielle à la fois dans les domaines de l'architecture et du matériel archéologique. Ce fut d'abord celle de Larcuste à Colpo (Morbihan) qui permit de dégager quatre chambres réparties le long d'un couloir aboutissant à une chambre terminale; toute la construction, à l'exception des dalles de couverture, utilise la pierre sèche, et le cairn environnant, de forme ovalaire, n'est ceinturé que par une seule muraille. Ce cairn Larcuste II avoisine un cairn Larcuste I contenant deux tombes à couloir à chambres ovoïdes. Les datations radiocarbone indiquent bien une construction précoce (Gif 2826 = 5490 ± 120 B.P.) et des fréquentations au long du IIIe millénaire (Gif 2454 = 4610 ± 110 B.P. - Gif 2827 = 4060 ± 120 BP. - Gif 2454 = 3480 ±110 BP.) tandis que le matériel recueilli dans le couloir et devant l'entrée constitue un bel ensemble de poteries de style chasséen atlantique (L'Helgouach et Lecornec, 1976).
C'est un monument un peu semblable et incontestablement très proche de l'architecture de Keriaval à Carnac qui a fait l'objet d'un sauvetage par C.T. Le Roux et Y. Lecerf (1977) à Cruguellic à Ploemeur. Quatre chambres latérales s'ouvrent sur un couloir qui s'achève sur une petite chambre axiale; le cairn s'inscrit dans un rectangle presque parfait. Ici encore la composante chasséenne de la poterie permet d'évaluer une occupation du site, et peut-être sa construction, dans la seconde moitié du 4e millénaire.
Malheureusement mal dégagé le mégalithe des Rochelles à Crossac (Loire-Atlantique) semble appartenir à cette architecture.
![]() |
De 1975 à 1977 nous avons exploré le cairn des Mousseaux à Pornic (Loire-Atlantique), site particulièrement représentatif du style à transept unique; un premier bilan des travaux a déjà été publié (L'Helgouach, 1977) mais sans description complète du matériel archéologique dont une illustration fut donnée séparément (L'Helgouach, 1979) (4). Aussi reprenons nous, dans cet article, l'ensemble des informations obtenues (5). En fait ce monument est connu depuis qu'un inspecteur des Monuments Historiques, F. Verger, déblaya en 1840 les deux tombes mégalithiques qu'il renferme. Nul ne sait ce qu'il y découvrit car l'on ne dispose d'aucun rapport direct. Mais, par une allusion du baron de Wismes dans le compte rendu de ses recherches au tumulus des Trois Squelettes à Pornic (1876, p. 227), on apprend que F. Verger dégagea au moins partiellement les murs d'enceinte du cairn des Mousseaux (fig. 1). Effectivement, il y a une vingtaine d'années, quiconque ayant l'oeil et l'esprit exercés pouvait deviner le tracé de deux murailles affleurant à la surface des éboulis. Ceci avait d'ailleurs conduit, avant les nouvelles fouilles, à tracer imprudemment le plan d'un cairn de forme ovalaire (L'Helgouach, 1965) (6). |
Les travaux de terrain ont simplement consisté à décaper les éboulis périphériques, ce qui, sauf sur la face nord, en bordure du chemin des Mousseaux, a été mené très méticuleusement selon un quadrillage orthogonal à la façade des entrées. Partout il est apparu que les éboulis étaient anciens et que les fouilles de F. Verger en 1840 n'avaient donc atteint que très superficiellement les structures d'enceinte, sauf peut-être le long du chemin des Mousseaux où les murs néolithiques étaient directement masqués par une masse importante de détritus modernes (fig. 2). |
![]() |
![]() |
Trois enceintes en pierre sèche circonscrivent la masse du cairn. Le contour général du monument s'apparente à un trapèze car les murs latéraux convergent vers l'arrière; la façade des entrées, aspectée au SE., de forme générale convexe, mesure 18 m de longueur tandis que le mur opposé, bien rectiligne, n'atteint pas 14 m. Les deux entrées des tombes mégalithiques, distantes de 4,7 m s'ouvrent symétriquement sur la façade principale. Les murailles latérales sont à peu près rectilignes et mesurent 11 et 12 mètres. Il faut souligner que la forme des murs intermédiaire et interne ne suit pas très exactement celle du mur externe; il semble, en particulier, que les raccordements entre les éléments de façade soient plus arrondis, notamment à l'E. et à l'W. Mais les coins du mur externe ont été de longue date détruits par des rabottages successifs de charrues s'évertuant à arrondir la base des éboulis. La partie la mieux préservée de ces structures muraillées se situe sur la face nord-ouest; les parements y montrent des élévations de 0,62 m pour le mur externe, de 1,42 m pour le mur intermédiaire et 1,90 m pour le mur interne qui affleure au niveau du sommet des parois des chambres funéraires. Entre les deux entrées le mur extérieur est assez bien conservé sur plus de 0.80 m de hauteur. A 1 m en arrière, le mur intermédiaire présente une particularité intéressante; une pierre verticale de 1,20 m de long dont la tranche apparaît dans la paroi gauche de la tombe B est plaquée contre lui et semble constituer un élément de façade visible, masqué secondairement par l'actuel mur externe (fig. 4). L'hypothèse d'un agrandissement du cairn par adjonction de l'actuel mur extérieur est rendue plausible par la mise en évidence d'un fait équivalent et de plus grande ampleur à Dissignac à Saint-Nazaire (7); ici, elle ne peut-être vraiment confirmée, même en se basant sur les petites différences de forme relevées entre le mur intermédiaire et le mur externe. |
Les deux tombes contenues dans le cairn ont été maintes fois décrites et nous renverrons le lecteur aux figures qui dispenseront de fastidieux commentaires. Rappelons simplement que la tombe A, la plus au S., correspond très exactement au type des tombes à transept unique; c'est un monument de construction symétrique avec sa chambre terminale quadrangulaire de 7,5 m2 de surface et ses deux chambres latérales (3 m2 et 3,45 m2) ouvertes en vis-à-vis sur le couloir. Rappelons également les particularités du système de couverture et la superposition des dalles du couloir sur les dalles des chambres latérales; au centre du sanctuaire funéraire, le volume de cette croisée en souligne toute l'importance (fig. 5). |
![]() |
![]() |
Malgré la dissymétrie de la tombe B réduite à une seule moitié longitudinale et limitant la surface de la chambre terminale à 5,00 m2, la construction y est la réplique exacte de l'édifice A. La construction de la couverture de la chambre semble montrer que le plafond ne dépassait pas la hauteur du couloir (fig. 7), ce qui va à rencontre des habitudes des constructeurs des tombes à couloir classiques. La question de la couverture de la chambre A reste toujours en suspens : ou bien les dalles ont été enlevées, mais dans ce cas on peut se demander pourquoi les autres pierres n'auraient pas été également utilisées, ou bien cette couverture était du type à encorbellement, assurant à cette chambre un volume considérable. Cette deuxième hypothèse paraît la plus vraisemblable et l'on imagine facilement l'effondrement de la toiture de la chambre et le pillage postérieur des matériaux, sans aucun doute de bonne qualité (8). |
Un nombre assez important de vestiges néolithiques a pu être recueilli au cours du déblaiement des éboulis du cairn. Il s'agit essentiellement de poteries.
Entre les deux entrées, au pied même du mur de façade, les vases 1 et 2, manifestement écrasés par les pierres effondrées, gisaient sur les restes d'un dallage. On peut donc être assuré que cette position est fort ancienne; ces vases étaient peut-être posés sur le mur de la façade d'où ils sont tombés, recouverts plus tard par la chute des assises supérieures de la muraille. Une observation identique a été notée entre les entrées du cairn Larcuste I de Colpo (Morbihan) (L'Helgouach et Lecor-nec, 1976).
|
![]() |
Sur le flanc sud-ouest du cairn quelques restes de vases, dont trois décorés, étaient également bien groupés.
|
![]() |
Au pied de la façade opposée, au NE, littéralement coincés contre la première assise du mur donc incontestablement scellés sur la structure de pierre aux premiers temps d'utilisation du monument, des fragments assez tenus permirent de reconstituer le profil du récipient n° 10. Ce grand récipient (n° 10) à goulot étroit a été reconstitué à partir de quelques fragments du fond, de la panse et du goulot. Le col est légèrement évasé, le rebord éversé et la lèvre arrondie. L'épaisseur moyenne est de 6 mm ; la coloration en surface est brun-rouge (5 YR 5/4).
Enfin, et comme il fallait bien s'y attendre, les sondages dans la chambre A, surtout destinés à repérer les structures de construction (fig. 6) n'ont rencontré que débris modernes jusqu'au fond. Egarés dans ce remaniement, deux ou trois fragments de poterie néolithique, dont un tesson à bouton (fig. 9, n° 11).
Le reste du matériel céramique est très fragmenté et généralement les formes ne sont pas déterminables. Il faut faire une exception pour deux fragments de vase à bouton à quelques mètres devant l'entrée de A. Quoiqu'il en soit, toute cette céramique est très homogène et les quelques minuscules fragments de rebords supplémentaires ressemblent à ceux déjà décrits, droits ou légèrement éversés, à lèvre aplatie ou arrondie, parfois légèrement débordante.
![]() |
Caractéristiques
générales
de la poterie
Les épaisseurs calculées sur 73 fragments sont réparties entre 3 et 11 mm; mais les valeurs supérieures, de 9 à 11 mm, ne correspondent qu'à 5 fragments. La grande majorité se situe entre 3 et 8 mm avec un maximum entre 4 et 7 mm. Ce sont donc, en général, des poteries fines, parfois très peu épaisses, malgré la taille des récipients. Les couleurs des surfaces extérieures se répartissent entre le brun orangé parfois assez clair (5 YR 5/6) jusqu'au noir brun (7,5 YR 3/2). Dans l'ensemble les teintes sont foncées et à dominante brune. Les dégraissants, à l'exception de quelques très rares éléments de taille importante sont très fins (moins de 1 mm de diamètre) et, autant que l'on en puisse juger macroscopiquement, proviennent du broyage de granité ou de roches assimilées. |
Il est extrêmement difficile de tenir compte du matériel lithique recueilli, disséminé dans les terres autour du cairn. Il s'agit surtout d'éclats de débitage, très peu souvent retouchés. Un seul outil peut être noté : une petite armature tranchante trapézoïdale à retouches abruptes taillée dans un éclat de quartzite clair.
La liste des matériaux utilisés pour ce débitage comprend :
Aussi bien au nord du cairn des Mousseaux qu'à l'est en contrebas du tumulus des Trois Squelettes, des quantités d'outillage ont été recueillies (10), et la relation de ce matériel avec les sites mégalithiques n'est pas réellement possible à établir.
Le dégagement complet des structures extérieures du cairn des Mousseaux et la découverte d'un matériel assez important ont contribué à clarifier la nature architecturale et la position culturelle des tombes à couloir transeptées de Pornic. Nous savons désormais que ces mégalithes étaient inclus dans un grand cairn quadrangulaire à murailles en gradins. Leur aspect extérieur ne différait donc pas profondément de celui de bien d'autres monuments comme le cairn de Kerleven à la Forêt-Fouesnant ou ceux de Guennoc à Landeda ou encore celui de Ty Floc'h à Saint-Thois; dans cette grande tradition les relations entre le monument et l'espace des vivants restaient à peu près immuables, à quelques détails près de dimensions (11). En revanche l'organisation de l'espace interne, le monde des morts, pouvait être interprêtée assez différemment selon les régions, en fonction de contingences sociologiques ou, plus prosaïquement, de nécessités techniques. A ce propos on peut se demander si l'adjonction de chambres latérales sur le couloir, au milieu de sa longueur, ne permettait pas une utilisation maximum de l'espace déterminé par la taille du cairn; de même, la dissymétrie de la tombe B des Mousseaux résulterait d'un unique problème de relation entre la surface sépulcrale totale offerte par les deux tombes et le volume du cairn engendré par les dimensions des édifices internes. La construction d'une tombe B identique à A eut inévitablement augmenté la surface au sol du cairn et créé en son centre des espaces «inutiles» assez considérables. Il s'agit donc d'une adaptation particulière à un problème qui a dû se poser assez fréquemment, et tout l'art des architectes consistait à trouver des formules économisant considérablement l'énergie dépensée dans ces grandes entreprises.
L'appartenance du cairn des Mousseaux à la période chasséenne est particulièrement bien démontrée et confirme donc les hypothèses déjà présentées. Ce monument relève de la seconde génération des sépultures mégalithiques armoricaines, immédiatement postérieure à celle des chambres circulaires à poterie de type Carn. Cependant l'influence chasséenne apparaît, une fois encore, très nettement adaptée, et derrière son faciès atlantique, il peut être extrêmement hasardeux de rechercher des affinités précises. Le décor des vases-supports, exécuté à cru au poinçon, dessinant des motifs très irréguliers, semble très spécifique de toute la péninsule armoricaine. Les formes des autres vases, avec des profils à col assez haut ou des profils à épaulement, peuvent avoir des lointaines et indistinctes attaches, septentrionales et méridionales.
Le décor d'arceaux sur la panse d'une bouteille ne semble pas avoir beaucoup de parallèles, excepté celui du récipient similaire de Penestin. Cependant on ne peut s'empêcher de trouver quelque analogie avec le décor d'un vase découvert dans le tumulus de Vierville (Calvados), malgré le profil anguleux de la poterie et l'exécution du décor en cannelures (Verron, 1976). De là on peut aussi faire remarquer les motifs en arceaux emboîtés, toujours traités en cannelures dans le style de Castellic-Mane Hui (Bailloud, 1975), et l'on notera plus particulièrement les fragments de Mane-Rouquellec à Plouharnel (Bailloud, 1975, fig. 3) et ceux de l'ilôt d'Er Lannic à Arzon (Bailloud, 1975, fig. 7). Sur ce dernier site la relation entre les poteries à décors cannelés et les coupes à socle peut n'être qu'apparente en raison de l'évolution considérable du site (12), mais on peut au moins constater aux Mousseaux une semblable juxtaposition de poteries à décors d'arceaux emboîtés et de coupes à socle de style Er Lannic sans pouvoir être plus affirmatif sur leur stricte contemporanéité.
![]() |
Ainsi que nous l'avons déjà souligné dans les généralités la région de Pornic fut très vite reconnue pour l'originalité de ses constructions mégalithiques. En fait cette architecture, dont le cairn des Mousseaux est à l'heure actuelle l'exemplaire type, est connue du nord de la Brière à l'Ile d'Yeu; le centre de cette répartition qui correspond aussi à la plus forte densité de monuments se trouve bien de part et d'autre de l'estuaire du canal de Haute-Perche à Pornic (fig. 12). Malheureusement beaucoup d'édifices ont été détruits ou sont en ruines, victimes de l'urbanisation littorale ou de l'avancée de la mer; à l'exception du cairn des Mousseaux aucun n'a été fouillé convenablement. |
Le grand site du Moulin de la Motte à Pornic comporte trois ensembles alignés le long du chemin des Mousseaux (fig. 1). A l'W se trouve le cairn des Mousseaux dont il a été question et qui appartient à la commune de Pornic; au centre le tumulus du Moulin de la Motte, surmonté d'habitations et planté de gigantesques conifères, n'a jamais été exploré (13), mais sur son flanc sud un élément de parement a été dégagé par sondage (L'Helgouach, 1979, p. 559-560); enfin à l'E le tumulus des Trois Squelettes fut fouillé en 1873 par de Wismes et en 1882 par P. de Lisie.
![]() |
Ce tumulus des Trois Squelettes était un ensemble mégalithique complexe dont il ne reste que trois édifices au milieu d'un jardin d'agrément. Des quatre ou cinq tombes que de Wismes et de Lisie dégagèrent, le Caveau de la Croix (fig. 13) se distingue par son architecture transeptée classique. La chambre terminale a malheureusement été détruite au début du XIXe siècle et il ne subsiste que le couloir, s'ouvrant vers le SE entre deux blocs de quartz, et les deux chambres latérales, très régulières. Les fouilles de M. de Wismes ne s'attachèrent pas à tenter d'élaborer les relations entre les divers monuments du site des Trois-Squelettes ; pourtant de Wismes signale avoir trouvé, très près de la tombe transeptée, «un mur de schiste, en pierres sèches, ayant dû circonvenir à une certaine hauteur tout le monument de la Croix ». On n'en saura sans doute jamais davantage et nous ne connaîtrons guère mieux le matériel archéologique puisque de Wismes déclare cyniquement «... peut-être même les plus précieux (objets) restent-ils à découvrir. Mais il nous parut préférable de poursuivre les fouilles que de nous trop arrêter à des recherches minutieuses». Il est donc à craindre que seules les pièces les plus volumineuses aient été recueillies à la pointe des pioches.
Du matériel lithique recueilli dans cette tombe par M. de Wismes, nous n'avons retrouvé au Musée Départemental de Loire-Atlantique que trois pièces :
M. de Wismes signalait également de nombreux grattoirs et outils en silex, une hache en silex gris très fine, de nombreux débris de vases grossiers, une petite coupe fine, bien cuite, bien polie, de couleur brune, et des charbons.
On ne peut évidemment pas tirer beaucoup d'indications de ces objets sinon que la «coupe fine et bien polie» pourrait être apparentée aux poteries 1 et 2 du cairn des Mousseaux et que les grandes lames de silex, notamment celles à retouches bifaciales, impliquent une utilisation tardive du monument.
Mais un autre point concerne cet édifice transepté; dès 1873 de Wismes signala et dessina des gravures sur un pilier de la chambre latérale gauche. Un relevé plus récent, que nous reproduisons, a été exécuté par E. Shee Twohig (1981). A la partie supérieure on peut discerner un double chevron et un signe indéterminé tandis qu'à la base, une sorte de petite hache emmanchée type Mane-er-Hroeck et surtout deux haches ou deux crosses opposées, selon un schéma assez fréquent dans l'art mégalithique (14), montrent des affinités réelles avec les symboles des tombes à couloir.
Ce sont les seules gravures connues sur les parois des sépultures transeptées; leur caractéristiques générales tendent à confirmer les liaisons avec les mégalithes du IVe millénaire.
![]() |
Sur le promontoire de Gourmalon qui limite au sud l'estuaire de Pornic, l'ensemble mégalithique des Hautes Folies aujourd'hui totalement disparu, a été fouillé vers 1866-1868 par M. de la Vibraye sans aucun rapport connu (de Lisle, 1882). Par bonheur, en 1868 W.C. Lukis en dressa un plan qui permet d'avoir une mince idée de ce que pouvait être le site (fig. 14, 1). Il est certain qu'au moins deux édifices transeptés se trouvaient côte à côte, ce qui rappelle le cas des Mousseaux. Le monument placé au N possédait deux chambres latérales symétriquement opposées et une petite chambre terminale carrée. Les restes d'un édifice semblable beaucoup plus endommagé occupaient la partie sud du site. Entre les deux tombes transeptées quelques pierres parallèles à l'axe du couloir délimitaient une galerie intermédiaire dont l'aboutissement reste inconnu.
Le Musée de l'Homme possède quelques objets provenant de ce monument, prêtés pour une exposition au Trocadéro en 1878.
En descendant le long du littoral on trouve la tombe transeptée de la Joselière (Le Clion-Pornic), monument assez ruiné mais dont tous les éléments constitutifs en grès tertiaire semblent conservés au milieu d'un tertre apparemment circulaire. Les différents plans que l'on possède, de Lukis (1848) à Stany-Gauthier (1939) (fig. 14,2), ne montrent pas une évolution régressive notable. L'entrée, au SE, permet de pénétrer dans un couloir qui dessert deux chambres latérales rectangulaires bien développées et conduit à une chambre terminale rectangulaire très allongée (6 m x 1,75 m) perpendiculaire à l'axe du couloir. Le développement des deux cellules latérales et celui de la chambre terminale sont à peu près semblables. Aucune relation de fouille n'est connue.
A quelques centaines de mètres plus au S et toujours sur le littoral, la tombe de Prédaire (ou la Boutinadière) se présente sous un aspect ruiniforme semblable à celui de la tombe de la Joselière. Ici également le grès tertiaire a servi de matériau de construction (fig. 15,1).
Les deux chambres latérales sont très développées puisqu'elles mesurent 2,75 m par 1,75 m chacune, soit 4,80 m2 environ de part et d'autre du couloir qui conduit à une chambre terminale de surface très réduite (2,25 m par 2 m) par rapport à celle de la Joselière.
Les fouilles de M. de Wismes en 1878 relatées par P. de Lisle (1882), auraient amené la découverte d'un matériel néolithique tardif, conservé au Musée départemental de Loire-Atlantique :
![]() |
A la pointe occidentale de l'Ile de Noirmoutier, près de l'Herbaudière se dressait un monument mégalithique dont la presque totalité des éléments, en grès tertiaire, gisent actuellement au haut de l'estran, déchaussés et abattus par l'avancée de la mer. Bachelot de la Pylaie a rédigé en 1840 une description assez compliquée du monument mais il fait remarquer la présence d'un système «appendiculaire» : «deux espèces d'ailes en forme de transept par rapport à l'axe du monument». Cet édifice est fouillé en 1864 par Jules Piet qui lui donne 7,50 m de longueur pour 2 m de largeur et 1,40 m de hauteur sous table.
C'est également à l'extrémité occidentale de l'Ile d'Yeu que se trouve la tombe transeptée de la «Planche à Puare», à quelques mètres seulement de la falaise. Ce monument est en bon état de conservation mais a perdu la totalité de son cairn environnant (fig. 15, 2) (Baudouin, 1913). L'entrée fait face au SE; les dimensions des deux chambres latérales, presque carrées (1,50 m x 1,70 m et 2,20 m x 1,50 m), ne donnent qu'une surface assez faible. La chambre terminale ne mesure elle-même que 2 m de large et 2,75 m de longueur. Chaque chambre latérale possède sa propre dalle de couverture sur laquelle repose la dalle couvrant la croisée de transept. On notera encore que ce monument a conservé tous les encadrements de porte qui séparent le couloir des diverses chambres; en l'état actuel, le passage rétréci qui donne accès à la chambre latérale droite illustre le mieux ce genre de structure.
C'est au nord de la Brière, à Herbignac, que se trouve le seul monument à transept simple actuellement certain sur la rive nord de la Loire. Connu sous le nom de «Rïholo», il est bâti au sommet d'une petite éminence de roches gneissiques (fig. 15,3). Côté SE, les structures d'entrée sont très endommagées, et l'on accède directement à la croisée de transept dont la dalle de couverture repose encore sur les dalles des deux chambres latérales. Si la chambre latérale gauche n'existe presque plus, en revanche celle de droite, très bien préservée et particulièrement vaste, mesure 3 m de long par 2 m de large. La chambre terminale, presque carrée, n'occupe qu'une surface réduite de 4,50 m2 (2,25 m par 2 m).
Les plans des différents monuments à transept montrent tout à la fois une assez remarquable homogénéïté du style et certaines variabilités des surfaces et volumes des éléments constituants. Ainsi peut-on observer des chambres latérales relativement petites, comme aux Mousseaux ou à la Planche à Puare, et d'autres qui sont plus vastes, comme celles de Riholo ou de Prédaire. Il en va de même pour les dimensions des chambres terminales puisqu'aux petites chambres de Riholo et Prédaire s'opposent celles, plus vastes, de Pornic A et de la Joselière. Il est sans doute intéressant de remarquer que des monuments très éloignés, comme le Riholo à Herbignac et le Prédaire au Clion, peuvent avoir des plans très similaires.
L'un des points les plus remarquables de l'étude de ces édifices concerne leur répartition et leur position topographique. A l'Ile d'Yeu et à Noirmoutier ils se dressaient à l'extrême occident de ces territoires. La situation des monuments de Pornic - Le Clion n'est guère différente car tous dominent nettement le rivage dont ils sont bien souvent fort proches. L'étroite relation de ces mégalithes avec la mer ne peut être contestée, et l'on retrouve ainsi l'une des tendances de l'architecture mégalithique la plus précoce. Il suffira de rappeler parmi tant d'autres quelques exemples célèbres, Barnenez (Plouezoc'h), Beg an Dorchenn (Plomeur) ou Petit Mont (Arzon) sur leurs promontoires, et encore Guennoc (Landéda), Carn (Ploudalmezeau), l'Ile Longue, Gavrinis (Larmor-Baden) et Penhape (Ile aux Moines), sur des îles et îlots proches du continent.
La position de la tombe transeptée du Riholo à Herbignac n'est pas tellement différente. Nous avons montré que la situation de l'ensemble des monuments autour de la Brière correspondait assez étroitement à celle des mégalithes du Golfe du Morbihan. Le marais constituait une dépression humide en bordure de laquelle furent établies les architectures funéraires, et le site du Riholo en particulier était limité, au moins sur trois côtés, de vallées inondées (L'Helgouach, 1980).
Les sépultures mégalithiques transeptées de l'estuaire de la Loire, bien représentées par le cairn des Mousseaux à Pornic, sont liées à une tendance architecturale générale que caractérise l'adjonction de chambres latérales sur des édifices dont le plan de base reste celui de la tombe à couloir. Elles constituent une unité régionale très typique et permettent d'identifier l'existence d'une petite société néolithique originale, particulièrement centrée autour de la baie de Bourgneuf mais pouvant avoir des antennes jusque vers le nord de la Brière; une meilleure connaissance de certains édifices mal dégagés au nord de l'estuaire de la Loire permettra peut-être d'établir des Maisons plus intenses entre les deux rives du fleuve (15).
La position chronologique des tombes à transept est définie par le matériel archéologique, fortement influencé par la culture chasséenne avec coupes à socle, donc à la charnière des IVe et IIIe millénaires. Les quelques gravures de la tombe de la Croix à Pornic confirment les relations culturelles avec les sociétés du Golfe du Morbihan.
Une réutilisation de ces tombes à la fin du Néolithique est attestée dans la tombe de la Croix et au Prédaire.
(1) Encore faudrait-il bien s'assurer, au cours des années à venir, que l'on a toujours bien daté les constructions et non pas seulement les événements qui auraient pu se dérouler avant ou après la mise en oeuvre architecturale.
(2) Au contraire des édifices à chambre circulaire, on ne possède actuellement pour aucune structure quadrangulaire de datations radiocarbones dont on soit absolument certain qu'elles datent la construction.
(3) Cette appellation aurait été employée par P. de Lisle du Dreneuc dès 1882.
(4) La première illustration du matériel céramique avait été exécutée avant la restauration des récipients; la reconstitution de ces vases par l'un de nous (H. Poulain) a permis une meilleure évaluation des dimensions d'où certaines différences entre les dessins 1979 et ceux qui sont proposés ici.
(5) Les travaux ont été exécutés avec l'autorisation du Ministre de la Culture; nous remercions la Municipalité de Pornic, propriétaire du site, de l'aide matérielle qu'elle nous a apportée. Ces recherches n'auraient pu se dérouler sans le secours de nombreux étudiants français et étrangers auxquels nous exprimons notre gratitude. Les travaux de consolidation ont été réalisés par l'entreprise R. Léger de Nanterre sur les crédits de consolidation du Service des Fouilles et Antiquités. Les deux fragments de la première dalle de couverture du couloir A ont été réunis et consolidés. La seconde dalle de couverture de ce même couloir manquait; elle a été remplacée par une pierre qui gisait à quelques mètres devant l'entrée. Dans ce monument A quelques pierres de la paroi, entre la chambre latérale gauche et la chambre terminale ont été redressées et les murs interstitiels ont été correctement rétablis. Dans le monument B, c'est au niveau de la paroi gauche du couloir que les plus importantes restaurations ont été effectuées; l'effondrement d'un bloc de quartz avait entraîné de graves perturbations du système de couverture. La paroi a donc été correctement réalignée et les dalles de couverture ont pu retrouver leur équilibre premier.
(6) Il est bien admis désormais que la forme des éboulis autour d'une tombe mégalithique ne peut permettre d'évaluer la forme du cairn initial. Dans tous les cas les éboulis de cairns quadrangulaires se développent selon des plans ovoides ou circulaires.
(7) Le tumulus de Dissignac à Saint-Nazaire, d'abord ceinturé par une façade de grands blocs jointifs, a été secondairement agrandi par une augmentation de 8 mètres du diamètre et la construction de deux enceintes complémentaires (L'Helgouach, 1975).
(8) L'utilisation de ces deux techniques de couverture a déjà été observée, sur des chambres circulaires il est vrai, dans le cairn Larcuste I à Colpo; la tombe A est ouverte par une dalle et la tombe B, tout à côté, possédait un encorbellement.
(9) Toutes les appréciations de couleur sont données d'après le système Munsell (Standard Soil Color Charts).
(10) Y compris quelques pièces paléolithiques (moustérien à bifaces).
(11) On rappellera aussi la grande ressemblance entre le cairn Larcuste I et le cairn des Mousseaux, par les rapports de dimensions générales, par l'équivalence probable des systèmes de couverture des chambres, par les dépôts de poterie sur le parement entre les entrées. Il s'agit bien d'une tradition à faciès variables de la construction mégalithique.
(12) Les hémicycles de pierres dressées seraient superposés aux nombreux petits coffres.
(13) Il semble qu'à l'occasion de travaux d'aménagement de constructions périphériques, des ossements aient été découverts dans ce grand cairn.
(14) Semblable association est visible à Mane-er-Hroè'ck, Mane-Lud, La Table des Marchands à Locmariaquer ou à Kermarquer à Moustoirac.
(15) Les mégalithes de la Brousse à Bodin à St Lyphard (L'Helgouach, 1980) pourraient se rattacher à cette architecture.